Je ne m’étais fixé aucun objectif. Pas de direction, pas de but, je pourrais dire que j’avais placé l’année 2023 sous le signe de l’intuition. Et effectivement j’ai beaucoup écouté mon intuition. Là où cela m’a la plus servie c’est pour le choix de mes invitées.
Bonjour et bienvenue,
C’est la saison des bilans. Il y a un an en 2022, je ne m’étais fixé aucun objectif. Pas de direction, pas de but, je pourrais dire que j’avais placé l’année 2023 sous le signe de l’intuition. Et effectivement j’ai beaucoup écouté mon intuition. Là où cela m’a la plus servie c’est pour le choix de mes invitées.
ça m’a permis de démarrer avec deux premiers épisodes qui font encore partie de mes chouchous après 30 enregistrements, celui avec Dominique Lévy et celui avec Réjane Ereau que j’ai mis en rediffusion cette semaine.
Me décentrer
Bilan donc. Je commence par les lectures les plus marquantes de l’année. J’ai déjà parlé de Triste Tigre dans la dernière édition mais je n’ai jamais évoqué ici Le Génie Lesbien d’Alice Coffin.
La couverture
Cette année j’ai beaucoup découvert la littérature féministe que je connaissais peu et ce livre est celui qui m’a le plus appris et fait réfléchir sur les lunettes déformantes que je porte pour regarder le monde.
L’histoire d’Alice m’a touchée tout d’abord parce qu’elle raconte l’histoire d’une Alix que j’ai bien connue. Alix Béranger a été la petite amie d’Alice et travaillait à Sidaction quand j’y étais moi aussi. Et c’est à Sidaction avec quelques autres de mes collègues qu’est né le mouvement La Barbe. Des activistes affublées de barbes postiches qui se rendaient dans des Assemblées Générales et autres événements pour féliciter des hommes de s’accaparer le pouvoir et de rester entre eux dans ces instances.
Alice a aussi été journaliste à une époque où je l’étais également et décortique la façon dont les journalistes, sous couvert de neutralité et d’objectivité, imposent aux faits le regard de leur propres lunettes déformantes. En l’occurence le biais dont il est question ici est celui de l’hétérosexualité. Alice raconte la peur pour les rédactions de tomber dans le communautarisme si elles autorisent un regard queer. Elle revendiquait - sans succès - le fait d’être le mieux placée pour aller investiguer les sujets gays et lesbiens puisqu’elle en avait les codes, elle connaissait les acteurs, elle comprenait intimement les enjeux.
Invoquer la neutralité dans une rédaction, c’est d’abord affirmer que certains peuvent écrire sur tout quand d’autres ont des biais. C’est établir un privilège. En territoire journalistique, il est particulièrement puissant. C’est le pouvoir de raconter toutes les histoires. D’être celui qui peut tout voir, tout dire, qui n’est jamais biaisé puisqu’il n’existe pas, puis qu’il est neutre, évanescent.
Ensuite elle décrit sa vie de lesbienne, son impossbilité en tant qu’enfant de trouver des modèles pour grandir. Et puis sa découverte de l’existence d’une culture lesbienne, invisibilisée pour le grand public, dont moi-même je n’avais pas idée car finalement les hétéros n’y ont pas vraiment accès. Qu’est-ce que j’en connais ? Les films de Céline Sciamma, c’est tout.
C’est la partie la plus riche du livre, celle où elle parle de sa compagne, de leur voyage aux US et de toutes les références de la culture lesbienne.
Ce livre parle abondamment de la confiscation de l’espace, de l’art et des narrations par le masculin et termine par un chapitre sur lequel Alice Coffin a été le plus interrogée sur les plateaux, celui qu’elle a intitulé “La guerre des hommes”. Elle y revendique le droit de généraliser, le droit d’être en colère, le droit d’exagérer, de s’écarter donc des normes de la féminité.
Je ne dis jamais que les hommes, aussi, ont tout à gagner au féminisme. Cest faux. Ils ont tout à perdre. Leurs privilèges, leurs monopoles, leur pouvoir. C’est un combat, nous ne le menons pas ensemble.
C’est le seul endroit où j’ai pu lire que donner des places aux femmes c’est effectivement en retirer aux hommes et que le seul moyen d’arrêter les féminicides, les excisions et les viols c’est de limiter leur pouvoir.
Alors bien sûr avec mes lunettes d’hétéronormée je trouve ça too much. Mais ça fait du bien de lire un texte aussi franc.
Aude Hayot
Host du podcast La fin de règles, je raconte ici ce que j'apprends de mes échanges avec toutes ces femmes et comment ils inspirent ma vie. Rejoignez-nous !